parution de Témoignage aux éditions POL
Auxeméry nous avait fait découvrir Holocauste de Charles Reznikoff en français. Philippe Lançon présente aujourd’hui dans Libération son oeuvre majeure, Témoignage, Les Etats-Unis (1885-1915), traduite de l’anglais par Marc Cholodenko et publiée aux éditions POL (on peut en lire les premières pages sur leur site).
Comme Holocauste, composé à partir d’archives des Procès de Nuremberg, "le ton est anti-épique, écrit Lançon, sans réflexion ni effusion - comme on plante des colonnes nues entre l’usine, la voie ferrée, l’arbre à lynchage, le champ, le saloon et la morgue".
Il cite Reznikoff :
Je vois une chose. Elle m’émeut. Je la transcris comme je la vois. Je m’abstiens de tout commentaire. Si j’ai bien décrit l’objet, il y aura bien quelqu’un pour en être ému, mais aussi quelqu’un pour dire : "Mais, bon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça ?" Les deux ont peut-être raison.
Reznikoff écrit les poèmes de Témoignage dans les années 1930-40. Il fait d’abord du journalisme, puis étudie le droit : Je m’aperçus que je pouvais utiliser la machinerie / onéreuse / qui m’avait coûté quatre années de dur travail du droit / et que j’avais crue inutile pour mon écriture : / forcer l’ouverture des phrases pour regarder la signification exacte ; / peser les mots pour ne choisir que ceux qui nourriraient mon propos / et jeter le reste comme des coquilles vides. Chaque poème de Témoignage est composé à partir de minutes de procès, de mains courantes, minutieusement épluchées. Il y est question de faits criminels dans les Etats-Unis des années 1885-1915. Je copie ici le premier poème sur lequel s’ouvre Témoignage.
Jim entra dans sa maison
et prit une paire de guides
et ensuite dans l’écurie
et en passa une à l’âne
et sortit l’âne
et l’attacha à une clôture ;
et passa le noeud coulant de l’autre guide autour de la tête de
l’âne
et commença à tirer.
L’âne commença à faire un sacré bruit.
On trouva son corps le lendemain matin,
à quatre ou six mètres de la porte de l’écurie ;
le cou, juste derrière la tête,
affreusement meurtri.