un philosophe célèbre insulte les auteurs contemporains
Plus éloigné que l’an passé des sujets de société, le cru de cette rentrée tend vers la famille. Chantal Thomas, Simon Liberati, Eric Reinhard, Sorj Chalandon entre autres explorent les liens mère, père, épouse et enfant.
Rentrée littéraire : une moisson généreuse sous le sceau du roman familial
20 août 2017
Pas de rentrée littéraire sans scandale ou procès. La saison 2015 a commencé avec l’assignation en référé de Simon Liberati par Irina Ionesco, parce que des passages d’Eva (Stock) constituaient, selon la photographe, des atteintes à sa vie privée. Le 7 août, le tribunal de grande instance de Paris l’a déboutée. Ce énième épisode de l’affrontement entre liberté d’expression et droit à la vie privée a donné le signal d’une rentrée placée sous le sceau du "vrai". En ce domaine, les familles restent un terrain d’exploration privilégié : tandis que Simon Liberati dresse le portrait de son épouse dans Eva, Christine Angot retrace l’histoire de ses parents dans Un amour impossible, le journaliste Christophe Boltanski, celle de ses grands-parents, père, oncles et tantes, dans La Cache (Stock), tout comme le font Nicole Lapierre dans Sauve qui peut la vie (Seuil), Séverine Werba dans Appartenir (Fayard), et Michaël Ferrier dans Mémoires d’outremer (Gallimard).
Raphaëlle Leyris, "Sous le sceau du vrai", Le Monde, 14 août 2015
Quand on écrit, on mène pas une petite affaire privée. C’est vraiment les connards, c’est vraiment l’abomination de la médiocrité littéraire, de tous temps mais particulièrement actuellement, qui fait croire aux gens que, pour écrire un roman, il suffit d’avoir une petite affaire privée, sa petite affaire à soi, sa grand-mère qui est morte d’un cancer, ou bien son histoire d’amour à soi, voilà, et puis on fait un roman... mais c’est une honte, c’est une honte quand c’est des choses comme ça. C’est pas l’affaire privée de quelqu’un, écrire. C’est vraiment se lancer dans une affaire universelle, que ce soit le roman ou la philosophie
Gilles Deleuze, Abécédaire, A comme animal
Ecrire n’est pas raconter ses souvenirs, ses voyages, ses amours et ses deuils, ses rêves et ses fantasmes. C’est la même chose de pécher par excès de réalité, ou d’imagination : dans les deux cas c’est l’éternel papa-maman, structure oedipienne qu’on projette dans le réel ou qu’on introjette dans l’imaginaire. C’est un père qu’on va chercher au bout du voyage, comme au sein du rêve, dans une conception infantile de la littérature. On écrit pour son père-mère. Marthe Robert a poussé jusqu’au bout cette infantilisation, cette psychanalisation de la littérature, en ne laissant pas d’autre choix au romancier que Bâtard ou Enfant trouvé. Même le devenir-animal n’est pas à l’abri d’une réduction oedipienne, du genre « mon chat, mon chien ». Comme dit Lawrence, « si je suis une girafe, et les Anglais ordinaires qui écrivent sur moi de gentils chiens bien élevés, tout est là, les animaux sont différents... vous détestez instinctivement l’animal que je suis ». En règle générale, les fantasmes ne traitent l’indéfini que comme le masque d’un personnel ou d’un possessif : « un enfant est battu » se transforme vite en « mon père m’a battu ». Mais la littérature suit la voie inverse, et ne se pose qu’en découvrant sous les apparentes personnes la puissance d’un impersonnel qui n’est nullement une généralité, mais une singularité au plus haut point : un homme, une femme, une bête, un ventre, un enfant... Ce ne sont pas les deux premières personnes qui servent de condition à l’énonciation littéraire ; la littérature ne commence que lorsque naît en nous une troisième personne qui nous dessaisit du pouvoir de dire Je (le « neutre » de Blanchot). Certes, les personnages littéraires sont parfaitement individués, et ne sont ni vagues ni généraux ; mais tous leurs traits individuels les élèvent à une vision qui les emportent dans un indéfini comme un devenir trop puissant pour eux : Achab et la vision de Moby Dick. L’Avare n’est nullement un type, mais au contraire ses traits individuels (aimer une jeune femme, etc.) le font accéder à une vision, il voit l’or, de telle manière qu’il se met à fuir sur une ligne de sorcière où il gagne la puissance de l’indéfini – un avare..., de l’or, encore de l’or... Il n’y a pas de littérature sans fabulation, mais, comme Bergson a su le voir, la fabulation, la fonction fabulatrice ne consiste pas à imaginer ni à projeter un moi. Elle atteint plutôt à ces visions, elle s’élève jusqu’à ces devenirs ou puissances.
Gilles Deleuze, Critique et clinique, 1993
©Editionsdeminuit
Première mise en ligne le 14 août 2015
Messages
1. La rentrée littéraire, c’est vraiment l’affaire des connards, 26 août 2015, 09:35, par Hervé COUCHOT
Attention malgré tout de ne pas confondre la "petite affaire privée" avec l’affaire personnelle au sens de Kenzaburo Oe qui a toujours une portée universelle. Dans "E comme enfance" Deleuze évoquant Sarraute va lui-même dans ce sens quand il appelle à ne pas confondre "Mon enfance" avec "Une enfance" Ce qui est plus problématique dans cet article c’est l’absence de distinction apparente malgré les guillemets entre le "vrai" et le "réel". Au final, ce qui est décisif c’est le traitement que l’écrivain fait subir à la langue beaucoup plus que le ’sujet" du roman ou son souci de véracité. Il n’en reste pas moins que cette notion de "rentrée" littéraire comme on parle de "rentrée des classes" est bien une notion de connards participant à l’infantilisation rampante qui gagne tous les domaines (bons et mauvais élèves de l’économie de marché, etc.). Appelons ça le marketing littéraire d’automne et continuons à lire de la "vraie" littérature qu’elle que soit la date de parution des livres...
2. La rentrée littéraire, c’est vraiment l’affaire des connards, 29 août 2015, 14:05, par raszalie
surmoïque et stimulant