Gratitude II : "Être le plaisir de l’aube qui point"
GRATITUDE II
à l’Athos et à tous les amis
aux portes des monastères qui ferment à la nuit qui vient,
aux attentes
aux études
aux tâches ingrates
aux soucis inutiles
à l’amitié, aux paroles vraies trouvées dans la communion des inquiétudes
à la patience et au travail
aux hâtes juvéniles, aux ridicules sans cesse redoutés,
aux livres mal lus, aux paroles non retenues
aux désirs insuffisants
aux réalités méprisées
à l’entr’aperçu.
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à la réponse espérée, confidence inégale, du maître et de l’aîné,
philosophe certain,
au courage affirmé et trop modeste
au dit d’une souffrance extrême, et longue
et de l’aide qu’on ne peut conseiller ni partager
celle du poème, de l’aède antique et aveugle
et de la confiance qui ne se peut accorder
à ceux qui veulent, quand ils ne l’ont pas encore,
ce pouvoir qui n’est plus digne d’être appelé politique,
enfin et surtout, de cette aide élémentaire, antique elle aussi,
de cet amour, de ce désir, d’une sagesse qui n’était pas encore sainte,
qui ne se disait qu’en grec, à Ephèse, à Abdère, à Agrigente et à Elée,
voix très pure d’une pensée qui n’était ni de l’essence ni de l’existence,
et qui déjà semblait obscure
aux affairés,
dangereuse autant que vaine aux puissants.
Convient-il encore de célébrer le simple, et le secret
sans mystère
parfois encore persécuté
toujours confronté
à ce bruit
à cette frénésie
à ces peurs
sans combat, sans armes, sans fracas,
voix, tue, dialogue recherché, ironie sévère, délivrance
patiente et sans fruit, chemin emprunté dans l’ignorance reconnue
confiance sans raison
voie aride à la foi sans salut
désir sans passion, sans patrie, sans clameur
conquête sans esclaves de l’inachevé
de l’inespéré
d’une beauté sans art
d’une vérité sans leurre ?
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Ce désir de si loin venu,
transmis dans la patience infinie
des bibliothèques,
et qui se risque au fracas,
à l’affrontement,
troupe maigre et sans renfort,
tradition fragile,
incertaine de sa force,
sans cris, sans applaudissements, sans victoires,
renonçants volontaires,
nus, et seuls.
Sans chefs ni gloire,
attachés à ce chemin si souvent perdu,
où les traces essentielles s’effacent
derrière les fragments arrachés
à la ruine, au feu, à la poussière
immense du bavardage infini.
Leçons déposées dans l’incompréhensible,
qui disaient le simple inaccessible,
le proche évanoui, et l’un entraperçu.
Minutes, machines, chiffres dispersés,
diffusion incessante et vaine.
Déluge assommant
aveuglant
assourdissant.
Tout étonnement noyé
Toute question fuie.
Submergés sans recours d’un savoir trop utile.
Seuls - les yeux neufs des enfants ?
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Ce don inouï,
présent inattendu autant qu’impératif,
obligatoire
obligeant au-delà de toute gratitude.
Ce coeur qui bat
et ces sanglots
parfaits.
Et le ciel est blanc,
aux hirondelles.
Et les amitiés sont nouvelles.
Clair désir à la sérénité retrouvée.
Vallon frais où s’approche l’automne
sans regret de l’été,
et demeure encore la torpeur
malgré la chute lente des gouttes séparées.
Après midi,
voix convenues du silence,
de l’espace proche.
Clairière minuscule offerte à la miséricorde
de cette pluie discrète, psalmodie qu’accompagne
seulement un très doux clavecin de feuilles parfois frappées.
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Esserci, le mot retrouvé, avec la lumière, le temps sans montre. Présence d’un passé qui n’est pas de ma mémoire. La pensée n’est guère l’affaire du lieu (aucun lieu ne s’affaire : ce sont seulement les affairés qui se privent du lieu, par leur affairement). Lieu sans double. Et rendu au silence. Désaffecté par l’histoire. Réaffecté sans mémoire. Neuf, donc, sans cesser d’être antique, et le devenant même de plus en plus.
On est d’un lieu, ou d’aucun, sans lieu (celui dont on est n’est pas celui dont on est proche). Le lieu dit alors l’origine, et la provenance. La tradition, donc ; du moins, la continuité. Se sait-on d’un lieu ? probablement pas davantage qu’on n’est conscient de l’air inspiré. D’aucun lieu : c’est aller trop vite que dire nomade. Sans feu ni lieu : l’emplacement vaut alors le foyer.
Elle ne peut être authentique, la pensée qui oublie son site.
Demeurer, demeure : croisement de la durée et du lieu. La première, d’abord ; le second, par dérivation ?
Au lieu vrai, tout est à sa place, en place, et engendre la gratitude, pour tout ce qui y prend place.
La sérénité du lieu, retrouvée ?
La sérénité du lieu retrouvé.
Etre le plaisir de l’aube qui point.